"Moi aussi, j’étais bien angoissée" : témoignage d'une infirmière volontaire pour soigner le Covid-19 à l'hôpital Tenon.

Paris, France, 11/05/2020

Armelle, 31 ans est infirmière depuis 10 ans. Devenue directrice de crèche il y a un an, elle s'est portée volontaire au début de la crise sanitaire, pour aller travailler à l'hôpital Tenon auprès des malades du Covid-19 en réanimation. A l'occasion de la Journée Internationale des Infirmières, la MACSF a recueilli son témoignage. 

"Mon rôle était de répondre présente lors d’un plan blanc"

Je m’appelle Armelle, j’ai 31 ans, je suis infirmière depuis 10 ans et puéricultrice depuis 4 ans. J’ai travaillé principalement à l’hôpital, en services de Réanimation Néonatale et Urgences Gynéco-obstétricales ; mais je suis actuellement directrice de crèche depuis 1 ans. Quand la crise sanitaire a dégénéré, je ne pouvais pas rester sans rien faire, confinée chez moi. Depuis ma première année à l’école d’infirmière en 2007, j’étais préparée au fait que c’était mon rôle de répondre présente lors d’un plan blanc. Alors c’était une évidence, j’ai téléphoné à l’Hôpital Tenon et j’ai proposé mon aide.

"Dans mon souvenir de stage en réa, tous les patients n’étaient pas à l’article de la mort"

Je suis arrivée le surlendemain à 19h en service de Réanimation Adulte, rebaptisé « Réa Covid ». Inutile de demander le motif d’hospitalisation des 42 patients… Ce qui m’a interpelée à ce moment-là, c’est l’état de gravité de tous. Dans mon souvenir de stage en réa, tous les patients n’étaient pas forcément à l’article de la mort, mais là si ! Tous intubés, ventilés, sédatés, curarisés, mis sur le ventre, tachycardes, avec des doses de drogues incroyables. Des seringues qu’on devait changer en permanence tellement les débits étaient importants, alors on les préparait à l’avance, à la chaine, jusqu’à avoir mal aux mains, des dizaines et des dizaines de seringues utilisées chaque nuit.

"Je soignais les corps, mais où sont les esprits des malades ?"

Une fois que j’ai à peu près maitrisé les gestes techniques, formée rapidement par une équipe paramédicale au top du top. J’ai commencé à me dire que je soignais les corps, mais où sont les esprits des malades ? Comment les accompagner dans ce tableau d’horreur ? Imaginez… Vous êtes chez vous, vous toussez un peu, vous avez de la fièvre et puis vous respirez « pas top ». Vous commencez à flipper avec cette histoire de coronavirus qui passe en boucle sur BFM, mais on en est pas encore à se confiner comme en Chine alors vous vous demandez si c’est vraiment pertinent d’appeler les pompiers. Mais vos proches insistent alors vous le faites. Effectivement, les pompiers eux non plus ne vous trouvent « pas top » alors ils vous mettent un masque à oxygène et vous transportent à l’hôpital le plus proche. Aux urgences, on vous met des capteurs, perfusions, et on vous fait une prise de sang dans l’artère (là ça commence à faire vraiment mal). Le résultat est mauvais, alors on vous explique qu’on va vous endormir pour vous intuber et vous ventiler. Vous avez peur, vous vous demandez si c’est la dernière image de votre vie. Mais non, ce sera seulement la première image avant 40 jours.

"Ça sonne de tous les côtés"

Vous ouvrez un peu les yeux, et vous commencez à cuver toutes ces drogues qu’on vous a balancées en quantité astronomiques, super bad trip. Une gueule de bois à n’en plus finir, celle où vous croyez que si vous fermez les yeux le matelas va vous ensevelir (en plus le matelas anti-escarre se gonfle et se dégonfle alors c’est peut-être possible, allez savoir). Vous avez mal partout. Un tube dans la gorge vous empêche de parler. Vous avez les mains attachées au lit. Ça sonne de tous les côtés et des gens passent vous laver et trifouiller vos capteurs et autres sondes, et tenter d’entrer en contact avec vous. Ce sont des personnes qui s’activent autour de vous mais impossible de savoir qui c’est. Ils ont des masques énormes en forme de bec de canard qui bougent quand ils respirent, des lunettes, des trucs sur la tête et des tabliers en plastiques, des sortes de pyjamas bleus en plastique. Ils sont là, ils vous accompagnent, tentent de vous rassurer, au fur et à mesure que vous émergez. Ils vous encouragent. Parfois on entend des applaudissements par la fenêtre et on vous explique que ce sont des applaudissements pour les soignants qui se battent contre le Covid dans toute la France. Alors finalement, c’est comme en Chine ? Ah oui, c’est vrai que vous croyez encore qu’on est le 12 mars… Le soignant qui est en train de vous frotter le dos vous dit que vous devez tenir bon, que vous êtes du bon côté de la pente, que le plus dur est derrière vous et que vous serez un héros pour vos enfants pour avoir vaincu le coronavirus. Oui, oui, on vous l’assure, ça va aller maintenant, demain ce sera la trachéotomie c’est bon signe (quoi ???).

Ce qui était le plus dur pour moi : accompagner les angoisses

Voilà, ce qui était le plus dur pour moi, accompagner les drames et les angoisses dans un contexte aussi dur. Surtout que, si je suis franche, moi aussi j’étais bien angoissée. Je trouve que la plus grande différence entre ceux qui ont connu la réa (soignants ou patients) et les autres, c’est ce qu’on imagine quand on entend la phrase « il y a eu 128 patients sortis de réanimation ». Le grand public imagine quelqu’un qui rentre chez lui avec son bracelet d’hôpital et qui va retrouver sa famille sur ses deux pieds. Moi je vois un patient affaibli qui en a pour au moins 6 mois de soins de suite et réadaptation, ou pire, une housse mortuaire. Ce qui manque le plus à l’hôpital ce sont des moyens de protection pour les soignants. Quand même, on savait bien que le plus gros risque sanitaire c’était un virus respiratoire ! Pourquoi on n'a pas en permanence des productions de protections individuelles pour permettre un plan blanc ? Un boléro en sac poubelle, un tablier de cuisine en plastique, des charlottes de restaurant ?? Sérieux, on est dans une cantine scolaire ou dans un service de pointe hospitalier ???

D'autres témoignages sur : macsf.fr

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